mercredi 11 avril 2018

Premiers pas au Ben Nevis : La douche écossaise #1

Nuit noire et quelques flocons de neige. Midnight approche, Fort William aussi. La route est aussi étroite que tortueuse. Je fais de mon mieux pour tenir ma gauche, tout du moins mon milieu, tout en tentant en vain, d’éviter la multitude de trous qui parsèment l’asphalte. Derrière ça roupille dur, le changement d'heure subit en traversant la Manche (1h !) doit y être pour quelque chose, à moins que cela ne soit les 28 heures de routes que mes copines viennent de s'enfiler d'une seule traite pour rejoindre le fin fond des Highlands depuis le fin fond des... Pyrénées ! Elles sont fortes mes copines !


La route serpente entre fjords et lacs. Le camion, quant à lui, zigzague à la lueur des phares entre une multitude de cervidés semblant trouver l'herbe des bas côtés bien meilleure qu'ailleurs !Mais ce n'est pas ici que le voyage a vraiment débuté... Ce n'est pas non plus au milieu de ces centaines de britishs qui me braillaient dans les oreilles et me piétinaient dans le tout petit aéroport de Grenoble plein à craquer ni même dans celui complètement désert de Glasgow !

Non, ce voyage a véritablement commencé un samedi matin sur les coteaux de Passy, en Haute Savoie...

Quatre heures du matin, alors que je m’apprête à laver mes cheveux et à profiter de la dernière douche avant le prochain retour à la civilisation, l'eau coule... froide ! Voilà une manière idéale de se mettre dans le bain ! (expression de circonstance) - Remerciement tout particulier à la chaudière défectueuse…

Serait-ce cela que l'on nomme "douche écossaise" ?

C'est fort probable ! Cette douche froide ne sera ni la première ni la dernière du séjour... L'eau glacée qui ruisselle le long du rocher, la neige lourde qui fond ou la glace qui revient à l'état d'eau liquide joue alors des gouttes à gouttes sur nos gore tex, imprègne nos gants, coule le long des manches des piolets puis s'enfile naturellement le long de nos avant bras, imbibant nos vêtements, glissant le long de nos bras, humidifiant nos épaules puis se faufilant le long de nos poitrines. Avec un peu de chance ça passe le cap de la ceinture et continue sa course en direction de la culotte terminant son chemin au fond des chaussettes dans des chaussures qui débordent déjà d'eau glacée !

Pour que le bonheur soit total, il faut que le vent et les spindrifts qui en découlent s'invitent à la fête : douche de neige poudreuse garantie sur nos petits corps déjà trempés jusqu'aux os... Cette fois on y est ! La salle de bain se nomme Ben Nevis et le bac à douche s'appelle "The curtain", "Point five gully" ou bien encore "Carn dearg"…

Je pourrais aussi volontier vous parler de la glace fondue et des broches que l'on y enfonce (ou que l'on retire) sans même avoir à accomplir la moindre rotation. Des points sur des broches à moitié vissées, des lames de piolets qui crissent contre le rocher alors que l’on était persuadé de grimper sur une cascade de glace, des fissures bouchées de neige ou verglacées et des friends qui ne veulent pas tenir en place, des pentes de neige à corde tendue sans aucune protection ou encore des corniches surplombantes qu'il faut escalader pour enfin rejoindre le sommet.


   
A ce propos, je pourrais aussi vous dire qu'en arrivant au sommet, vous avez bien peu de chance d'espérer pique-niquer en profitant du paysage puisque avec une probabilité de 99% ce sera "jour blanc" et sûrement tempête de vent ! Enfin, je pourrais encore rajouter que pour trouver le couloir d'avalanche... euh pardon... de descente, il vous faudra sortir votre petite boussole, compter vos pas, tourner en rond et finalement vous avouer... vaincus… euh… perdus !



Quel enfer ! Et pourtant, non… Le Ben Nevis, c’est le paradis de l’alpinisme hivernal !

Cela mérite bien quelques explications, je vous l’accorde…

Le Ben Nevis, 1344 mètres d’altitude… N’en demandez pas plus, c’est déjà bien suffisant ! C’est assez pour faire de lui le toit de l’Ecosse et, d’une pierre deux coups, le plafond du Royaume Uni tout entier !

Une toute petite montagne pour une très grosse ambiance. Le voici le secret du Ben et toute la magie du paradoxe qui le caractérise. Une courte face nord abrupte, un sommet complètement plat et une face sud en pente douce !





Montagne burinée par les éléments, balayée par les vents, sculptée par la magie de la nature qui la couvre de neige et de glace, l’enveloppe toute entière de givre. Grosse meringue où la neige compactée fait une jolie musique sous les lames des piolets, où les stalactites défient la gravité en poussant de travers et où les corniches ressemblent aux vagues de l’océan les jours de tempête…




Formidable terrain de jeu où les règles sont clairement énoncées et où il sera difficile de tricher… Il ne s’agit pas de tirer sur quelque chose mais plutôt de trouver quelque chose sur quoi tirer ! Loin des spits et des relais chaînés ; coinceurs, cablés et excentriques, seront les pièces maîtresses. Les broches peu gourmandes resteront souvent à demi rassasiées, rares pitons couverts de glace ou sangles humides dégoulinantes peu attrayantes, la corde tendue sera parfois la clé du succès…

Escalades engagées souvent, exposées parfois, mais pourtant loin d’être réservées à une élite. Alpinisme hivernal populaire où chacun pourra vivre sa modeste aventure… Savoir quitter les sentiers battus, être inventifs, imaginatifs, opportunistes, accepter de perdre ses repères, réapprendre à s’orienter, ne pas oublier son sens de l’humour et ne pas attendre le soleil pour sortir le bout de son nez ! Ne rien planifier, se lever et voir…


Fabuleuse ambiance où le ciel aussi blanc que la neige vous transporte pour une journée dans l’espace, où les éléments se déchaînent sur vous comme pour mieux vous guider sur le chemin de la raison… A la frontale, passer la porte du refuge, exténués, dégoulinants, frigorifiés et retrouver la lumière, la douce chaleur, le réconfort, les vêtements pendus partout, le séchoir plein à craquer, la collection de crampons et de piolets dans l’entrée…

Terminer la journée, les yeux brillants, les joues rosies devant un verre de whisky et ne penser qu’à une chose y retourner…

Complètement givrée me direz-vous ? Un peu... Mais grimper au Ben, c’est mythique et c’est magique !
 

  
Peut-être comprendrez-vous un peu mieux si je vous laisse lire les pérégrinations d’une petite grimpeuse et de ses tout premiers pas sur le Ben…

Au premier regard, (pas facile d'arriver à lever la tête avec un si gros sac sur le dos !) la petite alpiniste, débarquant de ses montagnes natales (ou presque) et n’ayant finalement qu’elles comme comparaisons naturelles, trouvera peut-être la face nord, qui s’offre à ses yeux, un peu courte et le ciel un peu gris. « Mouais… »


Au second regard, son œil affuté y percevra déjà quelques parois rocheuses, filets de glace, longues arêtes, grands couloirs et elle sera même sûrement un peu surprise de la raideur de certaines pentes de neige. « Humm… » Déjà ses papilles frétillent… Le ciel lui semble déjà beaucoup moins gris.
 
Quelques secondes plus tard, elle sera déjà, malgré elle, en train de regarder le menu de plus près : la voilà en train de décrypter quelques lignes qui pourraient lui permettre de se frayer un chemin dans cette muraille qui lui paraît déjà « plus si petite que ça » ! Les nuages sont presque complètement oubliés…


La première fois, qu’éreintée par l’ascension passée, elle posera enfin un pied sur le plateau sommital, ce dernier lui apparaîtra débonnairement plat: « tout ça pour ça ?! » pensera-t-elle alors…
 
Puis immédiatement, elle repensera à la douche qu’elle s’est prise ce matin dès les premiers mètres d’escalade, aux onglets à répétition, aux ancrages moyens, à cette progression tout en équilibre sur de la glace complètement fondue, creusant des marches pour les pieds et ne pouvant véritablement tirer sur ses piolets.


Elle pensera aussi aux protections précaires et aux deux chutes qu’elle a évitées de justesse, à la peur.
Elle se remémorera également ses copines mortes de trouille à l’assurage et complètement gelées, aux spindrifts qui vous glacent les yeux, à l’humidité dont témoignent ses vêtements puis aux derniers instants qu’elle vient de vivre pour franchir le dernier rempart qui lui défendait l’accès au ”graal,” énormes corniches surplombantes qui lui barraient alors le chemin du sommet.

Soixante mètres plus bas, ses copines suivent à corde tendue, entre elles, pas un point d’assurance, rien, zéro… « Ne pas mettre tout le monde en bas » avait-elle gardé à l’esprit durant ces longues minutes…
Finalement la déception relative et de courte durée d’un sommet tout plat, s’était rapidement transformée en : « Eh ben… Je ne l’aurais pas volé celui là ! »



… Poser les pieds à plat, lâcher les piolets, assurer en n’ayant qu’à reculer, marcher simplement, se désencorder, manger, s’embrasser, savourer… Le sommet lui apparaît alors vaste, beau, désert, grandiose, magique, incroyable… « Wahou ! »


Le ciel finalement complètement dégagé, les lumières de fin de journée enveloppent le champignon de givre qui recouvre l’abri sommital, seul point de repère, seule trace humaine en cet endroit balayé dans des conditions souvent si inhospitalières.


Spectacle délicieux qui s’offre alors. Les derniers rayons de soleil se reflètent sur les lacs et les fjords scintillants, si proches et si loin à la fois… Devant, la pente est douce, peu inclinée, inondée de lumière aux milles couleurs, descendant peu à peu jusqu’à se retrouver les pieds dans l’eau… Elle plonge tranquillement, progressivement, comme si de rien n’était, et va noyer son dernier relief dans la mer…

Une colline, vous dis-je… Une colline qui semble ne pas se soucier que sur son versant opposé, on y vit l’aventure, la vraie… 

Sacré Ben ! C’est sans aucun doute la première fois que la petite alpiniste, que je suis, aura ressenti une telle émotion au sommet… d’une colline !

Magique Ben Nevis !


20 février 2018. Premier jour au sommet du Ben Nevis après l’ascension de « Point Five Gully » en bien mauvaise condition, en compagnie de Nadia & Nadiuska. 

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